Archives Mensuelles: décembre 2018

La fraternité missionnaire (2)

Message de Monseigneur Leborgne

Notre évêque : état d’urgence

 

État d’urgence

Monseigneur Olivier Leborgne

Les dernières semaines ont été marquées par une actualité particulièrement difficile. A la colère durable des gilets jaunes s’est ajoutée la fusillade du marché de Noël de Strasbourg. Et pour un certain nombre d’entre nous, cela ne vient qu’assombrir une situation économiquement, socialement ou familialement très précaire.

C’est dans ce contexte de délitement du lien social, de l’action collective, de la sécurité physique, sociale et psychologique, et de l’espérance, que nous allons fêter Noël.

Noël éclaire la situation que nous vivons : « En ceci : croire que le Fils de Dieu a mis ses pas dans les nôtres, si fragiles, c’est savoir que tout est né pour être sauvé, que les êtres finis, avec leurs insuffisances et leurs caries, non pas été jugés indignes de l’Amour de Dieu. »

Nous sommes nés pour être sauvés. Nous le savons. Mais il en faut du temps pour naître à cette réalité du salut, à cette joie de Dieu, pour y croire vraiment. Il faut traverser les murs du mérite, de la culpabilité, de l’utilitarisme, du moralisme, du mépris, de l’individualisme, de notre propre désamour de nous-mêmes, pour commencer à croire à l’incroyable révélation : Dieu met sa joie en moi (cf. So 3,21). Reconnue et accueillie, cette révélation devient un levier extraordinaire de conversion. « Le Seigneur ton Dieu est en toi », et le chemin de la « vie vivante » s’ouvre en nous, et par nous pour le monde.

A l’occasion des fêtes de Noël, je voudrais déclarer pour le diocèse l’état d’urgence.

Nous n’avons pas immédiatement plus de solutions que nos concitoyens et sommes pour la plupart autant perdus qu’eux. Mais nous avons une joie et un trésor, nous nous reconnaissons fils et filles du Père, et frères et sœurs par le Christ. Nous pouvons, nous devons faire cadeau à nos contemporains de cette fraternité.

État d’urgence, car nous ne pouvons pas nous satisfaire de bons sentiments. Revisitons notre pastorale à l’aune de cette fraternité. Toute demande de sacrement est en fait une demande d’espérance et de fraternité. Toute demande de catéchisme ou de catéchuménat est bien une demande d’espérance et de fraternité. Même si elles ne savent pas se dire.

État d’urgence : la création et la multiplication de fraternités missionnaires de proximité dans la Somme n’est pas une proposition pour ceux qui en auraient le goût ou le temps, elle est une intuition forte reçue à nouveau de l’Esprit pendant le synode, une exigence missionnaire pour les disciples du Christ. Prenons le temps de la vivre, et d’y inviter !

Noël, la fragilité d’un enfant qui porte l’espérance et le salut du monde. Noël, l’Église qui se laisse façonner dans sa fragilité pour devenir cette fraternité d’espérance au cœur d’un monde qui n’en a plus guère.

Il y a vraiment état d’urgence.

Joyeux Noël !

+ Olivier Leborgne
Évêque d’Amiens

Noël, la fragilité d’un enfant qui porte l’espérance et le salut du monde. Noël, l’Église qui se laisse façonner dans sa fragilité pour devenir cette fraternité d’espérance au cœur d’un monde qui n’en a plus guère..

La fraternité missionnaire (1)

Message de Monseigneur Leborgne

Monseigneur Olivier Leborgne : « Colère »

Colère

Notre société, au moins un certain nombre de ses membres, est en colère.

Des faits et des sentiments, les uns appelant les autres et vice versa, sont à l’origine de cette colère. Son mode d’expression est désordonné mais comment ne pas l’entendre ? Il est sans doute difficile de cerner l’ensemble des tenants et des aboutissants de cette crise. Tout au moins est-il possible de dire qu’un sentiment d’abandon, de déclassement ou de bouc émissaire envahit ce que l’on appelle la ruralité et ceux qui la font.  La précarité progresse et la dissolution du lien avance. Alors une colère s’exprime. La résignation ne parait plus possible, même si le cri qui monte semble manquer d’espérance.

« Voici venir des jours, oracle du Seigneur, où j’accomplirai la parole de bonheur que j’ai adressée à la maison d’Israël et de Juda » disait le Seigneur par le prophète Jérémie dans une lecture que nous avons entendue ce premier dimanche de l’Avent. La parole de bonheur portée par l’Evangile est-elle encore audible ? La fraternité que nous voulons promouvoir est-elle encore crédible ? Peuvent-elles encore rencontrer le cri et la colère de nos contemporains ?

Plus que jamais. La fraternité a une dimension politique qui vient rencontrer notre actualité dans au moins trois directions.

Tout d’abord, la fraternité désire honorer chacun dans sa singularité et travaille dans le même temps à la recherche et au service du bien commun. La vie sociale ne se construit pas sur l’intérêt général – qui est généralement pensé comme l’intérêt du plus grand nombre – ou sur la somme des intérêts particuliers. C’est seulement à partir du bien commun, celui que nous avons en partage de par notre humanité même et qui résonne comme un appel, qu’une vie sociale fraternelle est possible. Si nous ne visons pas cela, nous ne serons pas à hauteur d’homme et la vie sociale ne sera que juxtaposition explosive d’égoïsmes. L’Évangile de la fraternité et la tradition sociale de l’Église sont à ce sujet d’importantes ressources.

Ensuite, la fraternité est profondément contestatrice d’une société ultra libérale et libertaire qui n’a aucun intérêt aux solidarités. Tout un discours apparemment positif sur la liberté comme autonomie absolue sape en fait les règles du vivre ensemble et rejette la figure de l’altérité. Il isole et laisse tellement seul. Un certain nombre de chemins de développement personnel appellent à trouver en soi les forces pour s’en sortir – et c’est bien –, mais tendent en même temps petit à petit à laisser entendre que là seul est la solution, et que le combat commun pour la justice n’est plus pertinent. Le désengagement des solidarités collectives ne peut que faire la joie de l’ultra libéralisme et des puissances politiques autoréférencées.

Enfin, la fraternité au quotidien, dans la simplicité concrète de gestes apparemment anodins, est une réponse à l’isolement que notre société consumériste promeut. Il nous faut retisser d’authentiques réseaux de fraternité. Cela coûte. Nous ne pouvons pas revendiquer la fraternité et souhaiter ne pas bouger de notre confort. Cela commence par de tous petits gestes : oser se dire bonjour, prendre des nouvelles. Des actes si simples qui peuvent ouvrir de vrais chemins d’humanité et de fraternité. Osons ces gestes, et laissons-nous faire par l’Esprit.

La fraternité évangélique comme fraternité missionnaire est décidément un appel urgent de l’Esprit pour notre temps.

Bon Avent

 

+ Olivier Leborgne

Réflexions de Monseigneur Noyer sur l’actualité

 

 

 

 

 

de Monseigneur Noyer, ancien évêque d’Amiens

Dimanche 2 Décembre 2018, au petit matin

J’ai trouvé ! J’ai trouvé ce que l’Église de France devrait dire devant cette insurrection des fins de mois que nous connaissons.

Elle devrait annoncer qu’on ne fêtera pas Noël cette année. Le 25 décembre sera un jour comme un autre. Rien dans les églises : pas d’office, pas de crèche, pas d’enfants.

On va revenir aux dimanches ordinaires car l’Avent n’aura pas lieu. Elle dira que notre peuple n’est pas dans un état d’esprit qui lui permet de fêter Noël. Le cri de désespoir qui le traverse est incompatible avec le mystère de Noël, avec l’espérance de l’Avent, avec l’accueil d’un enfant étranger.

Je suis peut-être vieux jeu mais je me souviens des Noël de mon enfance. Il n’y avait pas que les fins de mois qui étaient difficiles. Mais à Noël on oubliait tout pour se réjouir de ce qu’on avait. Les familles les plus modestes se retrouvaient avec le peu qu’elles avaient. Dans la nuit, les pauvres se sentaient riches du toit sur leur tête, du repas amélioré de leur assiette, de la bûche supplémentaire qui chauffait la maison et surtout de la chance d’avoir un papa, une maman, des frères et sœurs qui s’aimaient. On échangeait des petits riens qui étaient pleins de choses. On allait voir le Jésus de la Crèche, l’enfant démuni, étranger, dont la seule richesse était l’amour que nous lui manifestions. Et on prenait conscience qu’il y avait plus pauvres que nous, des ouvriers sans travail, des enfants sans papa, des familles sans maison. Et s’il restait un peu de gâteau on allait en donner une part au voisin malheureux.

Qu’on rappelle à notre société qu’il y a des pauvres qui ont difficulté à vivre, voilà qui va bien à Noël. Qu’on dise aux nantis que les pauvres ont des droits, qu’on redise le projet d’un monde plus juste pour tous, voilà qui s’accorde bien à Noël.

Mais ce que j’entends, n’est pas l’amour des pauvres, le souci de ceux qui n’ont rien, l’amour qui appelle au partage et à la justice. J’entends une population qui a peur de devenir pauvre, une population qui n’aime pas les pauvres. Tout le monde se dit pauvre pour avoir le droit de crier ! Les pauvres riches sont obligés de quitter le pays puisqu’on les gruge. Les pauvres pauvres ferment leur maison à plus pauvres qu’eux. J’ai connu un pays pauvre qui se pensait assez riche pour accueillir le pauvre. Je vois un pays riche qui se dit trop pauvre pour ouvrir sa porte à moins riche que lui.

Voilà sans doute bien des années que Noël est devenu le lieu de cette mutation. On invite l’enfant à désirer tous les biens de la terre et il se croit tout puissant jusqu’au moment où la limite de l’appétit ou de l’argent va faire de lui un frustré. On voulait en faire un riche comblé et il se retrouve un pauvre déçu.

Le Père Noël est devenu beaucoup trop riche et ne peut plus s’arrêter à l’étable où vient de naître l’Enfant-Dieu. Il me vient l’envie de lui arracher la barbe et de bloquer son traîneau au carrefour ! Pardon, je deviens violent.
Empêchez moi de faire un malheur !